CON-TEXTOS KANTIANOS.

International Journal of Philosophy N.o 1, Junio 2015, pp. 297-302

ISSN: 2386-7655

doi: 10.5281/zenodo.18534

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Théologie et religion chez Kant.

Compte-rendu de l’ouvrage Kant. Théologie et religion aux

éditions Vrin, 2013


Kant's Theology and Religion.

A review of Kant. Théologie et religion, Vrin, 2013


MARCELINE MORAIS

Cégep Saint Laurent de Montréal, Canada


Compte rendu : R. Theis, Kant. Théologie et religion, Vrin, Paris, 2013, 400 pp. ISBN: 978-2-7116-2483-6


Les éditions Vrin ont publié en 2013 les actes du Xie Congrès de la Société d’études kantiennes de langue française, sous la direction de M. Robert Theis. Le thème du congrès était : Kant, théologie et religion. L’ouvrage présente d’abord les textes des conférences plénières, puis celles des communications, réparties selon les thèmes suivants : théologie, religion, contexte et réception. Comme le note à juste titre Jean Ferrari dans sa conférence plénière, Théologie transcendantale et religion de la raison, les thèmes de la religion et de la théologie chez Kant ont été peu traités dans la tradition francophone et ce même si ces sujets ont préoccupé Kant jusque dans ses derniers écrits. Certains ont même avancé que sans une détermination philosophique de Dieu et du contenu de l’espérance rattachée à la religion, le système de la philosophie transcendantale ne pouvait connaître son achèvement. Sans nécessairement souscrire à cette thèse, on peut se réjouir qu’un sujet


Membre du Cégep Saint-Laurent de Montréal (Canada). E-mail pour contact: mmorais@cegepsl.qc.ca



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Marceline Morais

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de cette importance pour les études kantiennes fasse l’objet d’un ouvrage collectif en langue française. Comme il serait impossible toutefois de rendre compte de tous les textes que comporte cet ouvrage, nous nous limiterons à en présenter sommairement quelques uns qui se démarquent par leur qualité et l’intérêt du sujet traité.


Parmi les conférences plénières, celle de M. Ferrari, précédemment citée, a le mérite de faire un examen plutôt exhaustif du cheminent intellectuel de Kant au sujet de la théologie et de la religion. Comme il le rappelle, Kant s’est d’abord intéressé à la théologie transcendantale et c’est beaucoup plus tardivement, soit vers les années 90, qu’il aborde le thème de la religion. Par théologie transcendantale, il convient d’entendre selon lui, conformément à la tradition leibnizo-wolffienne, la métaphysica specialis dont l’objet est Dieu et qui constitue la fin ultime de la philosophie. Au sujet de la théologie transcendantale, M. Ferrari expose ensuite minutieusement l’évolution de la pensée de Kant de 1755 jusqu’à l’Opus postumum. On y constate d’abord que dès la Nova dilucidatio, Kant insiste sur ce qui sera plus tard au cœur de la Dialectique transcendantale de la Critique de la raison pure, soit la distinction entre l’ordre de la connaissance et l’ordre de l’existence, laquelle conduit à rejeter la preuve ontologique de l’existence de Dieu, l’existence n’étant pas un prédicat de l’essence. Cependant, tout au long de la période pré-critique, on observe que Kant adhère à des preuves de l’existence de Dieu qu’il dénoncera par la suite comme de simples avatars de la preuve ontologique. En 1763, dans l’Unique argument possible pour une démonstration de l’existence de Dieu, Kant soutient en effet que Dieu, en tant que Realgrund est la condition de toute possibilité. À ce titre, son existence apparaît nécessaire, comme le sont les qualités qui lui correspondent, soient l’unité, l’immutabilité, l’éternité. Dans la Dissertation de 1770, l’usage réel de l’entendement autorise une preuve de l’existence de Dieu à partir de la contingence des substances. Toutefois, la Critique de la raison pure démontrera en 1781 l’impossibilité définitive de toute preuve de l’existence de Dieu par la raison spéculative, réservant néanmoins à l’idée de Dieu, comme aux autres idées transcendantales, un usage régulateur pour la connaissance de la nature. C’est à la morale, comme l’indique Kant dans la seconde et la troisième Critique, que revient la tâche de fournir une preuve de l’existence de Dieu. Celui-ci doit être nécessairement postulé eu égard à la possibilité de l’objet total



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et complet d’une volonté moralement déterminée: le summum bonum ou but final. Au sujet de ce tournant pratique de la théologie, M. Ferrari remarque que : « …le Dieu de Kant n’est pas le Dieu des philosophes et des savants dont la métaphysique traditionnelle, au terme d’un raisonnement, prouve l’existence… » mais « … la loi morale en nous, cette exigence à l’aulne de laquelle tout doit se mesurer, … »1. Le texte s’intéresse ensuite à

l’élaboration par Kant d’une philosophie de la religion dont il retrace les différentes étapes.


Dans la section de l’ouvrage concernant la théologie, Sophie Grapotte défend dans un texte intitulé « Le concept d’ENS REALISSIMUM », le caractère critique du concept de Dieu comme ens realissimum dans la première Critique, contre l’opinion d’Anneliese Maier selon laquelle ce concept serait dogmatique. Autrement dit, l’auteur veut montrer que Kant, après avoir remis en cause la prétention de la métaphysique dogmatique à connaître les choses en soi, ne retombe pas subitement dans cette même dogmatique en introduisant le concept d’ens realissimum. Au contraire, selon elle, celui-ci porterait de part en part l’empreinte de la critique. D’abord, Sophie Grapotte rappelle que ce que fait Kant dans la dialectique transcendantale ne consiste pas à déterminer une connaissance possible d’objets suprasensibles, comme par exemple Dieu, mais à montrer comment la raison humaine est conduite par elle-même à produire des concepts dont les objets dépassent le champ du connaissable. Il y montre en effet que la raison tend naturellement, lorsqu’elle veut opérer la détermination complète d’une chose, à penser son rapport à tous les prédicats possibles, et ce sous la forme du concept de la possibilité totale, comme substrat commun. Ensuite, par épuration, ce concept devient celui d’un être singulier totalement déterminé par cette idée, soit un Idéal. En décrivant la genèse de Dieu comme idéal, Kant reste fidèle à l’usage critique de la raison puisqu’il montre comment la raison humaine tombe naturellement dans des illusions lorsqu’elle sort des limites de l’expérience possible et prétend faussement connaître des réalités transcendantes. Dans une perspective critique, il montre ensuite que la constitution du concept d’ensrealissimum est une illusion dialectique qui survient à la faveur d’une confusion entre la supposition nécessaire à la possibilité des phénomènes, soit le tout de l’expérience possible, omnitutido realitas phenomenae, et le tout de toute réalité, la condition de toutes choses en général, soit

1

Ferrari, Jean, « Théologie transcendantale et religion de la religion », dans Kant Théologie et religion, dir.

Robert Theis, Vrin, 2013, p.23.



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l’omnitutido realitas noumenae. En outre, la conversion de l’omnitutido realitatis en un être dont l’existence conditionne toutes choses résulte d’une transformation de l’unité distributive de l’usage expérimental de l’entendement en une unité collective, celle d’un tout de ces réalités.


Il apparaît désormais manifeste selon Sophie Grapotte que le concept d’ens realissimum dans la Critique de la raison pure n’est pas traité dogmatiquement mais bel et bien disséqué, analysé et, de ce fait, limité par le travail de la raison critique. Ce concept n’a pas d’usage transcendant, car il ne peut s’appliquer à aucun objet d’expérience, mais seulement immanent, heuristique, s’il est appliqué à l’usage de l’entendement dans l’expérience en vue de la systématicité des connaissances. Son usage n’est pas constitutif mais seulement régulateur, car il dirige l’entendement vers la plus grande unité possible dans l’ordre de la connaissance. Il est, ainsi, un « objet dans l’idée », un schème qui sert à représenter la liaison systématique des objets de connaissance. Le concept critique de l’être suprême ne correspond pour Kant à aucun objet réel donné mais à un objet pensé, soit à une idée, qui est supposée relativement au monde sensible dont elle permet de penser l’unité. En fait, dans une perspective critique, le seul usage légitime que nous puissions faire de l’idée de l’être suprême comme ens realissimum demeure analogique. Les catégories de l’entendement ne peuvent lui être appliquées qu’analogiquement ou indirectement en tant qu’il est mis en relation avec le fondement des objets des sens.


La section de l’ouvrage portant sur la religion comporte plusieurs contributions intéressantes portant sur des aspects variés de la doctrine kantienne de la religion. On y trouve notamment un texte de Mai Lequan qui révèle le rôle important dévolu par Kant à l’Université comme tribunal chargé de trancher les querelles entre les théologiens et les philosophes sur les questions religieuses, et un autre fort pertinent de Robert Theis, qui souligne le rôle déterminant de l’analogie dans la philosophie religieuse de Kant. Cet article, intitulé « Le Christ comme archétype de toute moralité » suggère que si Kant emploie très peu le nom de Jésus dans ses œuvres, c’est moins par une sorte de pudeur respectueuse que parce que Jésus ou le Christ ne l’intéresse pas en tant que personne ou



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individu, mais seulement en tant qu’il est l’image sensible, la représentation concrète d’un idéal, celui d’une humanité conforme à la moralité. L’auteur s’applique à montrer comment la conception kantienne de la religion et le type d’herméneutique préconisée par Kant convergent vers cette interprétation du Christ comme archétype de la moralité. Notons d’abord que la religion est introduite dans la philosophie kantienne à partir de la raison pratique. Celle-ci exige en effet que l’objet total d’une volonté déterminée par la loi morale, soit le souverain bien, soit possible. Cette possibilité, ne pouvant reposer uniquement sur nous-mêmes, êtres finis, exige, pour être achevée, l’assistance de Dieu comme postulat. Lui seul permet en effet d’accorder à celui qui s’en est rendu digne, tout le bonheur qu’il mérite. C’est ainsi, en premier lieu, grâce à l’espérance en la possibilité du souverain bien comme union proportionnée du bonheur et de la vertu, que Kant rattache la religion à la moralité sans toutefois la subordonner à la première et en maintenant intacte son autonomie. L’auteur précise qu’il existe également un autre chemin qui de la morale conduit à la religion, lequel dépassant le registre de la simple espérance, incite à regarder nos devoirs moraux comme étant, en même temps, des commandements divins. Selon R. Theis, cette quasi-identification de nos devoirs moraux à des commandements divins peut signifier deux choses : d’abord, que la notion de commandement divin permet de rendre sensible l’obligation que représente la loi morale, qui n’est pourtant qu’un devoir de l’homme envers lui-même, ensuite, que les devoirs moraux sont en eux-mêmes la manifestation concrète, accessible à la conscience, de la volonté divine, son incarnation pour la raison humaine. Cette perception des devoirs moraux comme manifestation sensible de la volonté divine invite à une interprétation des écritures qui ne doit pas viser à chercher en elles un sens caché, à découvrir, mais qui doit au contraire tenter de saisir comment elles expriment à leur façon, historique, concrète, la loi morale déjà présente dans la raison de tout être humain. En effet, si la religion est issue de la raison pratique et qu’elle en constitue le prolongement, il en résulte que l’interprétation des écritures doit toujours se faire à partir de l’interprète, de sa raison, de la loi morale qui s’y manifeste et non pas extérieurement à celle-ci, dans le texte. La foi rationnelle est déjà dans la raison et guide l’interprétation des textes qui en sont la manifestation symbolique ou sensible. Poursuivant dans cette voie, on peut constater dans La religion dans les limites de la simple raison, que la disposition morale au Bien, le Bon principe, qui est indestructible en l’homme et qu’il est appelé à développer contre son penchant au mal et qui s’identifie à



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l’idéal d’un homme moral, agréable à Dieu, ne nous est accessible toutefois que par le truchement d’un individu concret qui incarnerait cet idéal, une personne historique, le Christ. En outre, comme le montre Robert Theis, la personne historique de Jésus manifeste en elle-même, tel un exemple, la « religion naturelle complète 2». Ainsi, la personne

historique de Jésus apparaît-elle nécessaire en vertu du schématisme de l’analogie qui permet à des êtres sensibles et raisonnables comme nous de nous représenter concrètement le suprasensible, en l’espèce de la loi morale et de l’idéal d’une humanité parfaite.

Enfin, la dernière partie de l’ouvrage, intitulée Contextes et réception est caractérisée par des textes qui soulignent l’influence de Kant sur la philosophie de la religion en général ou traitent de la réception des textes de Kant concernant la religion ou la théologie à son époque, y compris les critiques qui lui furent adressées, tandis que d’autres enfin révèlent l’importance de sa correspondance avec d’autres philosophes dans l’élaboration de sa propre conception de la religion.



2

Robert Theis, « Le Christ comme archétype de toute moralité », op.cit., p.283



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